En bref:
- Northvolt, le leader européen dans la fabrication de batteries électriques, a déposé le bilan, illustrant les défis structurels auxquels l’industrie européenne est confrontée face à la concurrence asiatique.
- Cette faillite menace les objectifs de transition énergétique de la France, accentuant la dépendance vis-à-vis des fournisseurs asiatiques et remettant en question la viabilité des projets de gigafactories européennes.
- Pour garantir la souveraineté technologique et réussir la transition énergétique, il est crucial de renforcer le soutien aux entreprises, d’adopter une stratégie industrielle cohérente et de promouvoir la collaboration entre les acteurs du secteur.
Considéré comme le fleuron européen des batteries électriques, le suédois Northvolt a officiellement déposé le bilan le 12 mars 2025. Une faillite retentissante qui ébranle l’ensemble de l’écosystème automobile européen et soulève de nombreuses questions quant à la capacité de l’Europe à développer une filière autonome de batteries pour véhicules électriques. Quelles conséquences cette défaillante aura-t-elle sur la transition énergétique française ? Analyse d’un échec aux multiples répercussions.
Le naufrage d’un champion européen
Northvolt devait incarner l’indépendance européenne en matière de batteries électriques face aux géants asiatiques. Créé en 2016, le fabricant suédois avait suscité un immense espoir et attiré plus de 10 milliards de dollars d’investissements, notamment de la part de Volkswagen, Goldman Sachs et BMW. Un pari ambitieux qui s’est soldé par une dette colossale de 8 milliards d’euros.
"Comme de nombreuses entreprises du secteur des batteries, Northvolt a été confronté ces derniers mois à une série de défis cumulés qui ont affaibli sa situation financière", a expliqué la société dans son communiqué.
Les signaux d’alarme se multipliaient depuis plusieurs mois. En juin 2024, BMW avait annulé un contrat majeur de 2 milliards d’euros. En septembre, l’entreprise avait supprimé 25% de ses effectifs dans une tentative désespérée de redressement. En novembre, Northvolt s’était placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Des mesures insuffisantes qui ont finalement conduit à l’inévitable dépôt de bilan, laissant 5 000 salariés sur le carreau.
Une course perdue face à la concurrence asiatique
L’échec de Northvolt met en lumière les difficultés structurelles de l’industrie européenne face à une concurrence asiatique écrasante. Les fabricants chinois comme CATL et BYD, ainsi que les coréens comme LG, bénéficient d’un triple avantage :
- Le contrôle des terres rares nécessaires à la fabrication des batteries
- Une maîtrise technologique acquise grâce à des années d’avance
- Une stratégie commerciale axée d’abord sur des véhicules électriques abordables
Les chiffres sont éloquents : l’Europe ne représente actuellement que 3% de la production mondiale de cellules de batterie, bien loin de son objectif de 25% du marché d’ici 2030. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les coûts de production en Europe sont environ 50% plus élevés qu’en Chine.
L’impact sur les constructeurs français et l’approvisionnement en batteries
Pour les constructeurs automobiles français, la disparition de Northvolt diminue considérablement les options d’approvisionnement européen. Si les liens commerciaux directs entre Northvolt et les constructeurs français étaient limités, cette faillite fragilise néanmoins l’ensemble de la filière européenne et risque d’accentuer la dépendance aux fournisseurs asiatiques.
Les alternatives pour l’approvisionnement en batteries existent, mais présentent toutes des défis :
- ACC (Automotive Cells Company) : Cette coentreprise entre Stellantis, Mercedes et TotalEnergies a inauguré sa gigafactory dans le Pas-de-Calais en mai 2023, mais sa montée en puissance reste progressive.
- Verkor : La start-up grenobloise prévoit de produire ses premières batteries dès 2025 dans sa future usine de Dunkerque.
- AESC-Envision : Cette entreprise sino-japonaise s’implante près de Douai pour fournir Renault à partir de début 2025.
- ProLogium : Le groupe taïwanais vise une entrée en production fin 2026 dans son usine française.
Ces projets sont-ils suffisamment solides pour résister aux mêmes pressions qui ont coulé Northvolt ? La question reste entière.
Un coup dur pour les objectifs de transition énergétique français
La faillite de Northvolt intervient dans un contexte déjà tendu pour la transition énergétique du secteur automobile français. L’objectif d’atteindre 100% de ventes de véhicules particuliers électriques d’ici 2035 semble de plus en plus difficile à tenir.
📊 Défis actuels pour la transition énergétique automobile française :
Dimension | Impact de la faillite de Northvolt |
---|---|
Approvisionnement | Dépendance accrue aux fournisseurs asiatiques |
Coûts | Potentielle hausse des prix des batteries |
Souveraineté | Affaiblissement de l’autonomie technologique européenne |
Emploi | Incertitude sur la viabilité des projets de gigafactories françaises |
Compétitivité | Véhicules électriques français potentiellement moins compétitifs |
"La transition énergétique du secteur automobile ne peut pas dépendre uniquement d’acteurs extra-européens. L’échec de Northvolt montre qu’il est urgent de repenser notre stratégie industrielle pour garantir notre souveraineté technologique," explique Emmanuel Hache, adjoint scientifique à IFP Énergies nouvelles.
Les leçons à tirer pour l’industrie française
La faillite de Northvolt est riche d’enseignements pour l’industrie française des batteries électriques :
1. La nécessité d’un soutien financier dans la durée
"Nous sommes davantage des incubateurs que des acteurs capables de financer des entreprises quand elles ont commencé à montrer leur potentiel", analyse Emmanuel Hache. "L’Union européenne est présente dans les phases initiales, mais pas quand les entreprises ont besoin d’un financement sur la durée."
2. L’importance d’une stratégie industrielle cohérente
Comme le souligne Xavier Mosquet, associé principal émérite au BCG : "Il est inutile d’avoir dépensé de l’argent les cinq premières années si on ne les aide pas aujourd’hui à consolider leur rattrapage. Et il n’y a pas de raison que ce qui se passe actuellement avec Northvolt ne s’applique pas demain à un ACC, un Verkor ou un PowerCo."
3. La collaboration plutôt que la concurrence
"J’aimerais également que nos constructeurs considèrent la batterie comme un enjeu commun et non de concurrence. Nous avons plus à gagner ensemble", ajoute Xavier Mosquet.
Des pistes pour l’avenir
Face à ce revers, plusieurs pistes se dessinent pour maintenir le cap de la transition énergétique française dans le secteur automobile :
🔋 Renforcement du soutien aux gigafactories françaises
L’État français pourrait intensifier son soutien financier aux projets de gigafactories sur son territoire, comme ACC à Billy-Berclau ou Verkor à Dunkerque, pour éviter qu’ils ne connaissent le même sort que Northvolt.
🔬 Diversification technologique
Investir dans des technologies alternatives aux batteries lithium-ion conventionnelles, comme les batteries au sodium développées par Tiamat SAS en France, pourrait constituer un avantage concurrentiel.
🌐 Coordination européenne renforcée
La création d’une "Banque européenne de la décarbonation et de l’électrification", comme proposée récemment par la France, pourrait offrir un cadre de financement plus pérenne pour les acteurs stratégiques.
♻️ Développement du recyclage des batteries
Le recyclage des batteries représente une opportunité de réduire la dépendance aux matières premières tout en créant une nouvelle filière industrielle, comme l’illustre le projet d’usine de recyclage de Hydrovolt en France.
Un réveil nécessaire pour l’Europe
La faillite de Northvolt sonne comme un signal d’alarme pour l’ensemble de l’industrie européenne des batteries électriques. Pour la France, c’est un rappel brutal que la transition énergétique nécessite non seulement des ambitions, mais aussi une stratégie industrielle solide et des investissements durables.
Dans un marché mondial dominé par l’Asie, la souveraineté technologique européenne ne pourra être assurée que par une politique industrielle volontariste et coordonnée. L’enjeu dépasse largement le cadre économique : il s’agit de l’avenir même de l’industrie automobile française et de sa capacité à réussir sa transition vers un modèle décarboné.
L’échec de Northvolt doit être un catalyseur pour repenser notre approche et transformer cette crise en opportunité de renforcement de la filière française et européenne des batteries électriques.