Valeo impacté par le ralentissement du marché des voitures électriques : quelles conséquences pour la filière française ?

En bref:

  • Valeo, équipementier automobile français, connaît un recul de 3% de son chiffre d’affaires et une chute de 27% de son bénéfice net en 2024, en grande partie à cause du ralentissement du marché des véhicules électriques en Europe.
  • Une vaste restructuration est en cours avec la suppression de 868 postes en France, dont la fermeture d’une usine, tandis que Valeo met en œuvre un plan stratégique axé sur l’innovation technologique et l’expansion en Chine pour compenser la stagnation du marché européen.

Dans un contexte où l’industrie automobile mondiale traverse une période de mutation profonde, l’équipementier français Valeo vient d’annoncer des résultats 2024 qui témoignent des défis actuels. Confronté au ralentissement du marché des véhicules électriques, le groupe a vu son chiffre d’affaires se replier et ses bénéfices stagner à un niveau préoccupant. Cette situation n’est pas isolée et pourrait présager d’une reconfiguration plus large de toute la filière automobile française, déjà fragilisée par la concurrence internationale et les contraintes réglementaires. Analyse des enjeux et des perspectives pour cet acteur majeur et l’ensemble du secteur.

Un exercice 2024 sous tension pour Valeo

Des résultats financiers en demi-teinte

L’exercice 2024 s’est révélé particulièrement difficile pour l’équipementier français. Valeo a enregistré un repli de 3% de son chiffre d’affaires, qui s’établit à 21,5 milliards d’euros. Plus inquiétant encore, son bénéfice net a chuté de 27%, atteignant seulement 162 millions d’euros, un niveau jugé très faible pour un groupe de cette envergure. Cette performance décevante contraste avec les ambitions affichées précédemment par l’entreprise.

Si la marge opérationnelle s’améliore légèrement à 4,3% du chiffre d’affaires, ce résultat reste inférieur aux prévisions initiales. Valeo avait en effet dû revoir ses objectifs à la baisse en octobre 2024, tablant désormais sur une marge opérationnelle comprise entre 4,5% et 5,5% pour 2025, contre 5,5% à 6,5% auparavant. Le groupe a également revu à la baisse son objectif de chiffre d’affaires pour 2025, le situant entre 21,5 et 22,5 milliards d’euros, bien loin des 23,5 à 24,5 milliards initialement visés.

Seule note positive dans ce tableau contrasté : la génération de trésorerie a dépassé les prévisions, atteignant 481 millions d’euros, ce qui permet à l’entreprise de proposer un dividende en légère hausse à 0,42 euro par action.

Le ralentissement du marché électrique, principal coupable

Les difficultés de Valeo s’expliquent en grande partie par le ralentissement brutal du marché des voitures électriques en Europe. Comme l’a souligné Christophe Périllat, directeur général du groupe : "Le chiffre d’affaires est fortement pénalisé par la baisse de l’activité de certaines plateformes électriques en Europe".

Les chiffres du marché européen confirment cette tendance. En 2024, les ventes de voitures électriques ont reculé de 5,9% sur le continent, avec environ 1,45 million d’unités écoulées. La part de marché des véhicules électriques a même légèrement diminué, passant de 15,7% en 2023 à 15,2% en 2024. Cette situation s’avère particulièrement préoccupante pour Valeo, qui a massivement investi dans les technologies liées à l’électrification.

Des mesures drastiques de restructuration déjà engagées

Face à cette conjoncture défavorable, Valeo a engagé un plan de restructuration significatif. En novembre 2024, l’équipementier a annoncé la suppression de 868 postes en France, touchant particulièrement huit de ses sites industriels. Parmi les décisions les plus douloureuses figure la fermeture programmée de l’usine de La Suze-sur-Sarthe, dont la production s’arrêtera définitivement le 25 avril 2025.

D’autres sites sont également touchés, comme celui de Saint-Quentin-Fallavier en Isère (238 postes supprimés sur 307), d’Amiens (97 postes), de Reims (97 postes dont 64 licenciements), de Limoges (83 postes), de Sainte-Florine en Haute-Loire (80 postes), ou encore le centre de Recherche et Développement de La Verrière dans les Yvelines, dont la fermeture est envisagée.

Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie globale visant à redresser la rentabilité du groupe. "Ces résultats sont une bonne base, de solides fondations, pour aborder 2025 et se donner des objectifs plus ambitieux encore dans un contexte qui est toujours incertain et toujours difficile", a déclaré Christophe Périllat, esquissant une vision qui se veut malgré tout optimiste pour l’avenir.

Les causes structurelles de la crise des équipementiers français

Un marché automobile européen en pleine mutation

Le ralentissement du marché des véhicules électriques s’inscrit dans un contexte plus large de transformation de l’industrie automobile européenne. En 2024, le marché automobile français a enregistré une baisse notable, avec seulement 1,72 million d’immatriculations de voitures particulières, soit 3,2% de moins qu’en 2023 et 22,4% de moins qu’en 2019, avant la crise sanitaire.

Cette évolution reflète plusieurs phénomènes convergents :

  1. Une demande qui hésite face aux véhicules électriques : Les consommateurs restent réticents à l’achat de voitures électriques dont le prix demeure plus élevé que les équivalents thermiques, malgré les subventions.
  2. La montée en puissance des hybrides non rechargeables : Ceux-ci ont progressé de 24% en 2024 pour atteindre 43% de parts de marché, devenant la solution de transition privilégiée par les consommateurs.
  3. Une concurrence chinoise de plus en plus agressive : Un véhicule électrique sur quatre vendu en Europe est désormais importé de Chine, menaçant directement les acteurs européens.

Les contraintes réglementaires européennes

Le cadre réglementaire européen exerce une pression considérable sur toute la filière automobile. L’interdiction des moteurs thermiques à partir de 2035 et le durcissement des normes d’émission de CO2 obligent les constructeurs à accélérer leur transition vers l’électrique, même si la demande du marché ne suit pas au même rythme.

Le règlement CAFE (Corporate Average Fuel Economy) impose aux constructeurs d’atteindre une part minimum de ventes de véhicules électriques ou hybrides, sous peine d’amendes qui pourraient atteindre entre 5 et 15 milliards d’euros en 2025. Cette situation place les équipementiers comme Valeo dans une position délicate, devant investir massivement dans les technologies d’électrification alors même que le marché tarde à décoller.

Comme le souligne Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA) : "La disparition de l’industrie automobile européenne ne relève désormais plus de la simple hypothèse. Le processus est engagé, il est en cours." Cette déclaration alarmante reflète l’inquiétude croissante de tout un secteur qui a perdu près de 40 000 emplois en France depuis la crise sanitaire.

L’érosion de la compétitivité face aux acteurs internationaux

La compétitivité des équipementiers français s’est considérablement dégradée ces dernières années. Valeo a notamment exprimé des préoccupations quant à la situation de l’industrie automobile européenne, qui aurait perdu environ 25% de sa compétitivité en quatre ans, principalement en raison de l’inflation des salaires et des coûts énergétiques.

Cette perte de compétitivité se traduit par une pression accrue sur les marges, confrontées à la fois à la hausse des coûts de production en Europe et à la concurrence de fabricants étrangers, notamment asiatiques, aux coûts structurellement plus bas. La situation est d’autant plus préoccupante que les équipementiers français sont pris en étau entre des constructeurs qui exigent des baisses de prix et une chaîne de valeur qui se recompose avec l’électrification.

Les stratégies d’adaptation mises en œuvre par Valeo

Le plan stratégique "Move Up" : cap sur l’innovation technologique

Face à ces défis, Valeo s’appuie sur son plan stratégique "Move Up", lancé en février 2022. Ce programme ambitieux vise à capitaliser sur les mégatendances de la mobilité durable pour accroître la valeur du groupe. Il se concentre particulièrement sur quatre domaines clés : l’électrification, les aides à la conduite (ADAS), la réinvention de la vie à bord et l’éclairage.

Dans le domaine de l’électrification, Valeo mise spécifiquement sur la haute tension, avec des solutions qui améliorent les performances et l’autonomie des véhicules électriques. L’entreprise développe notamment des technologies avancées comme les groupes motopropulseurs électriques de 800 V et les carbures de silicium (SiC), qui permettent d’améliorer significativement l’efficacité énergétique.

Le groupe a également créé en avril 2024 une nouvelle division, Valeo Power, fusionnant ses activités de systèmes thermiques et de propulsion. Cette réorganisation vise à renforcer sa compétitivité dans le domaine de l’électrification, avec une structure plus agile composée de sept entités régionales pour mieux répondre aux besoins spécifiques de chaque marché.

L’expansion stratégique sur le marché chinois

Contrairement à l’Europe où le marché stagne, la Chine a consolidé sa position de premier marché mondial pour les véhicules électriques, avec une croissance des ventes de 38% en 2023 pour atteindre 9,49 millions d’unités. Dans ce contexte, Valeo a renforcé sa présence sur le territoire chinois.

Le site de Changshu, en Chine, est devenu un centre névralgique pour la R&D et la production de technologies destinées aux véhicules électriques haute tension. Cette usine, qui a démarré sa production industrielle en octobre 2018, constitue désormais un pilier de la stratégie internationale du groupe.

Cette implantation permet à Valeo de servir à la fois les constructeurs chinois en pleine expansion et les marques internationales présentes sur ce marché dynamique. La stratégie vise également à bénéficier de la montée en gamme des constructeurs chinois, qui intègrent de plus en plus de technologies avancées dans leurs véhicules.

Des mesures de rationalisation et d’efficacité opérationnelle

Au-delà des initiatives stratégiques, Valeo a engagé un important programme de réduction des coûts, avec des mesures spécifiques représentant une charge totale de 300 millions d’euros sur deux ans. Ces actions devraient générer des économies structurelles de 200 millions d’euros par an à partir du second semestre 2024.

Le groupe se concentre également sur la génération de cash et le désendettement, avec l’ambition de réduire son ratio de levier à 1,0 fois l’EBITDA d’ici 2025. Pour 2025, Valeo vise une génération de cash flow libre avant coûts de restructuration exceptionnels comprise entre 700 et 800 millions d’euros.

Ces mesures d’efficacité opérationnelle s’accompagnent d’une politique de prix plus agressive et d’efforts pour optimiser la chaîne d’approvisionnement, dans un contexte où les pénuries de composants et les difficultés logistiques ont considérablement perturbé l’industrie ces dernières années.

Perspectives et enjeux pour la filière automobile française

Une année 2025 charnière pour l’industrie

L’année 2025 s’annonce décisive pour l’ensemble de la filière automobile française et européenne. Elle sera marquée par l’entrée en vigueur de normes d’émissions de CO2 renforcées qui pourraient contraindre les constructeurs à payer des amendes substantielles s’ils ne parviennent pas à électrifier suffisamment leurs ventes.

Pour Valeo, cette année sera également celle de l’achèvement de son plan stratégique Move Up. Comme l’a indiqué Christophe Périllat : "En 2025 s’achèvera notre plan stratégique MoveUp. Nous donnerons les contours d’une nouvelle phase de croissance rentable et génératrice de cash pour Valeo lors d’une journée investisseurs le 20 novembre prochain."

Les prévisions économiques mondiales laissent entrevoir une croissance modeste du PIB mondial, inférieure à 3% entre 2024 et 2025, ce qui pourrait limiter le potentiel de rebond du marché automobile. Toutefois, l’arrivée de nouveaux modèles électriques plus abordables, notamment sous les 25 000 euros, pourrait stimuler la demande et profiter aux équipementiers qui, comme Valeo, ont investi massivement dans ces technologies.

L’impératif d’innovation technologique face à la concurrence internationale

Dans la course mondiale à l’électrification, l’innovation technologique demeure l’arme principale des équipementiers français. Valeo, qui figure parmi les dix premiers équipementiers mondiaux, a placé l’innovation au cœur de sa stratégie avec des investissements conséquents en R&D.

Ces efforts se concentrent notamment sur :

  1. L’amélioration des systèmes de propulsion électrique : Développement de moteurs plus efficaces et de systèmes de récupération d’énergie plus performants.
  2. Les technologies de batterie et de gestion thermique : Solutions pour optimiser l’autonomie et la durée de vie des batteries, ainsi que leur recharge rapide.
  3. Les systèmes avancés d'aide à la conduite (ADAS) : Technologies essentielles pour les véhicules autonomes et semi-autonomes, un domaine où Valeo dispose d’une expertise reconnue.
  4. L’éclairage intelligent : Solutions d’éclairage adaptatif qui contribuent à la sécurité et à l’efficacité énergétique des véhicules.

Ces innovations sont cruciales pour maintenir la compétitivité face à la concurrence chinoise, qui bénéficie d’un marché intérieur dynamique et de coûts de production plus faibles. Comme le soulignait Jacques Aschenbroich, ancien PDG de Valeo : "Ceux qui ne suivront pas le rythme de l’innovation auront du mal à survivre."

Le nécessaire soutien des politiques publiques

Face aux défis majeurs que traversent Valeo et l’ensemble de la filière automobile française, le soutien des politiques publiques apparaît comme un élément déterminant pour l’avenir du secteur. Plusieurs pistes sont avancées :

  1. Révision du règlement CAFE : Une adaptation des normes européennes pour faciliter la transition des constructeurs vers l’électrique sans les pénaliser excessivement pourrait soulager indirectement les équipementiers.
  2. Critères de production européenne : L’instauration de critères favorisant la production locale permettrait de contrer partiellement la concurrence asiatique et de préserver le tissu industriel européen.
  3. Soutien à l’innovation : Le renforcement des dispositifs d’aide à la R&D et à l’industrialisation des nouvelles technologies pourrait accélérer le développement de solutions compétitives.
  4. Neutralité technologique : Certains acteurs plaident pour une approche plus souple, permettant une place aux motorisations thermiques alternatives, comme les carburants de synthèse, aux côtés de l’électrification.

La Fédération des industries des équipementiers pour véhicules (FIEV) appelle ainsi à une action rapide et coordonnée pour soutenir la filière, notamment en renforçant son attractivité et en alignant les stratégies européennes face à la concurrence internationale.

L’impact social de la transformation de l’industrie

Des conséquences lourdes sur l’emploi et les territoires

Les restructurations en cours chez Valeo et d’autres équipementiers ont un impact social considérable. Selon l’Observatoire de la métallurgie, environ 65 000 emplois dans la filière automobile française pourraient être menacés d’ici 2030, dans un contexte où le secteur a déjà perdu près de 40 000 emplois depuis la crise sanitaire.

La fermeture annoncée du site de La Suze-sur-Sarthe, qui emploie plus de 300 personnes, illustre parfaitement les conséquences territoriales de cette crise. Même si Valeo propose 74 possibilités de reclassement dans ses usines de Sablé-sur-Sarthe et d’Angers, ainsi qu’une prime de 10 000 euros pour les salariés acceptant une mobilité interne, l’impact sur le bassin d’emploi local sera significatif.

Ces restructurations soulèvent également la question de l’adéquation des compétences aux besoins futurs de l’industrie. La transition vers l’électrification nécessite des profils différents et de nouvelles expertises, ce qui implique un important effort de formation et de reconversion pour une partie des employés du secteur.

Les initiatives pour accompagner la transition

Face à ces enjeux sociaux, diverses initiatives sont mises en œuvre pour accompagner la transformation de la filière :

  1. Plans de formation et de reconversion : Des programmes spécifiques sont déployés pour permettre aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires aux nouveaux métiers de l’électromobilité.
  2. Redynamisation des territoires : Des projets de réindustrialisation sont envisagés pour les zones affectées par les fermetures d’usines, avec l’appui des collectivités locales et de l’État.
  3. Dialogue social : La concertation avec les partenaires sociaux est intensifiée pour trouver des solutions équilibrées, comme en témoignent les négociations en cours chez Valeo.
  4. Mobilité professionnelle : Des passerelles sont créées entre différents secteurs industriels pour faciliter les reconversions vers des domaines porteurs.

Ces initiatives, bien que nécessaires, ne suffiront probablement pas à compenser entièrement les pertes d’emplois liées à la transformation du secteur. Elles témoignent néanmoins d’une prise de conscience collective des enjeux sociaux de cette transition industrielle majeure.

L’avenir de Valeo et de la filière automobile française se joue aujourd’hui dans un contexte de mutation profonde. Si le ralentissement actuel du marché des véhicules électriques constitue un défi majeur, il ne remet pas en cause la trajectoire à long terme vers l’électrification. Les équipementiers qui, comme Valeo, parviendront à traverser cette période de turbulences en maintenant leurs efforts d’innovation et d’adaptation, pourraient émerger renforcés dans un paysage industriel recomposé. Pour la France, l’enjeu est désormais de préserver les compétences et les capacités industrielles essentielles à la souveraineté dans ce secteur stratégique, tout en accompagnant sa nécessaire transformation écologique.

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