En bref:
- XPeng, constructeur chinois de véhicules électriques, a enregistré plus de 500 immatriculations en France en moins d’un an, soulignant une montée rapide dans un marché concurrentiel.
- Avec l’ambition de atteindre 3 600 ventes en 2025, XPeng mise sur une expansion de son réseau de distribution et se positionne contre des géants comme Tesla avec des offres premium à prix compétitifs.
- Les constructeurs français, déjà fragilisés par la transition énergétique, font face à une pression croissante de la part des marques chinoises, rendant leur avenir incertain dans le secteur des SUV électriques.
Dans un marché automobile français en pleine transition énergétique, le constructeur chinois XPeng franchit un cap symbolique avec plus de 500 véhicules électriques immatriculés en moins d’un an de présence. Cette performance, obtenue dans un contexte de ralentissement du marché électrique hexagonal, soulève une question cruciale : les marques chinoises premium comme XPeng représentent-elles une menace sérieuse pour les constructeurs français, déjà fragilisés par la transformation de leur industrie ?
Une percée rapide sur le marché français
Arrivé discrètement au printemps 2024, XPeng s’est rapidement imposé comme un acteur à surveiller dans le segment des véhicules électriques haut de gamme. En seulement neuf mois de commercialisation effective, le constructeur a réussi à immatriculer 511 véhicules sur le territoire français, avec une accélération particulièrement notable en décembre 2024, où 220 unités ont été livrées.
Cette progression fulgurante s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, l’effet Mondial de l’Automobile de Paris en octobre 2024, qui a servi de véritable tremplin pour la marque. Thomas Rodier, directeur marketing et communication de XPeng France, a d’ailleurs confirmé qu’il y avait eu "un avant et un après Mondial", de nombreux visiteurs étant repartis avec des bons de commande après avoir découvert la qualité des véhicules proposés.
La stratégie de XPeng repose sur deux modèles phares : le G6, un SUV de taille moyenne Xpeng G6 directement concurrent du Tesla Model Y, proposé à partir de 42 990 euros, et le G9, un SUV premium plus imposant Xpeng G9, commercialisé à partir de 59 990 euros. Ces véhicules se distinguent par leur technologie avancée, notamment l’architecture électrique 800 volts permettant une recharge ultrarapide (de 10 à 80% en 20 minutes pour le G6).
Des ambitions démesurées pour 2025
Si atteindre 511 immatriculations en neuf mois peut sembler modeste face aux volumes des constructeurs établis, XPeng affiche des ambitions particulièrement élevées pour 2025. L’objectif : multiplier ses ventes par sept pour atteindre environ 3 600 unités sur le territoire français cette année.
Pour y parvenir, la marque mise sur un développement accéléré de son réseau de distribution. Actuellement fort d’environ 35 concessions, XPeng entend doubler ce nombre d’ici la fin de l’année 2025, pour atteindre entre 60 et 70 points de vente répartis stratégiquement sur l’ensemble du territoire. L’ambition affichée est claire : "avoir un XPeng à moins de 45 minutes de chez vous, partout en France en 2026", selon les déclarations de la direction.
Le mix de ventes prévu pour 2025 reflète la stratégie produit de la marque :
- 73% des ventes devraient concerner le G6 (soit environ 2 600 unités)
- 27% pour le G9 (environ 1 000 véhicules)
- 63% des ventes seraient réalisées auprès de particuliers et 37% auprès de professionnels
Pour un constructeur quasiment inconnu du grand public il y a encore un an, ces objectifs témoignent d’une ambition démesurée. XPeng vise clairement à conquérir 3% du segment des SUV électriques en France, un chiffre qui peut paraître modeste mais qui, sur ce segment spécifique et dans un marché aussi concurrentiel, représenterait une performance remarquable.
Une offensive industrielle chinoise préoccupante
L’arrivée de XPeng s’inscrit dans une offensive plus large des constructeurs chinois sur le marché européen. Le PDG de XPeng, He Xiaopeng, a récemment annoncé sa volonté de doubler la présence mondiale de sa marque d’ici fin 2025, passant de 30 à 60 pays. Une ambition qui s’accompagne d’un objectif stratégique clair : réaliser la moitié de ses ventes hors de Chine sur la période 2024-2033.
Cette expansion survient malgré les obstacles posés par l’Union européenne, qui a décidé fin 2024 d’imposer une surtaxe allant jusqu’à 35% sur les voitures électriques de fabrication chinoise chinoise, s’ajoutant aux 10% de taxes déjà en place. Ces mesures protectionnistes, loin de décourager les constructeurs chinois, semblent au contraire avoir accéléré leurs stratégies d’implantation durable en Europe.
XPeng n’est d’ailleurs pas seul dans cette offensive. BYD, le géant chinois qui a dépassé Tesla en volume de ventes mondiales, connaît également une croissance impressionnante à l’international avec 67 025 véhicules exportés en février 2025, soit une hausse de 187,8% par rapport à l’année précédente.
Un positionnement "anti-Tesla" assumé
La stratégie de XPeng est particulièrement intéressante à analyser dans le contexte actuel du marché. Le constructeur chinois se positionne clairement comme un concurrent direct de Tesla, avec des produits qui visent les mêmes segments mais à des prix légèrement inférieurs tout en proposant des technologies parfois plus avancées.
Par exemple, le G6 de XPeng, avec ses dimensions quasi identiques à celles du Model Y de Tesla (4,75 m contre 4,75 m à deux millimètres près) et son autonomie comparable (560 km), se positionne comme une alternative crédible, désormais moins chère de 2 000 euros. La marque ne cache d’ailleurs pas que nombre de ses premiers clients sont d’anciens propriétaires de Tesla.
Cette stratégie "anti-Tesla" s’accompagne d’un positionnement premium assumé. XPeng se présente comme "la seule marque de voiture électrique premium chinoise", cherchant à se différencier des autres constructeurs chinois qui privilégient souvent des segments plus accessibles.
Ce positionnement est particulièrement audacieux sur un marché comme celui de la France, où les marques premium allemandes (BMW, Mercedes, Audi) et même Volvo sont solidement implantées. Pourtant, XPeng semble avoir identifié une faille dans le marché : proposer une technologie de pointe associée à un niveau de finition élevé, à des prix inférieurs à ceux des constructeurs premium traditionnels.
Les constructeurs français en difficulté
Face à cette nouvelle concurrence, les constructeurs français semblent particulièrement vulnérables. Renault et Stellantis (qui regroupe notamment Peugeot, Citroën et DS) ont certes réalisé de bonnes performances financières en 2024, avec des chiffres d’affaires en hausse respectivement de 13% et 6%, mais leur transition vers l’électrique reste compliquée.
Le marché français des véhicules électriques a montré des signes d’essoufflement en 2024, avec une légère baisse des immatriculations de 2,6% par rapport à 2023, pour s’établir à 290 611 unités. La part de marché des véhicules électriques est restée stable autour de 17%, loin des objectifs initialement fixés par les pouvoirs publics.
En janvier 2025, le marché a confirmé cette tendance avec 19 923 immatriculations de véhicules électriques, soit une légère baisse de 0,43% par rapport à janvier 2024. Dans ce contexte, les marques françaises tentent de maintenir leur leadership, notamment avec la Renault 5 E-Tech (2 813 immatriculations en janvier 2025) et la Citroën ë-C3 (environ 1 500 unités).
Néanmoins, plusieurs facteurs fragilisent leur position :
- Des investissements colossaux à réaliser : Renault et Stellantis doivent investir des milliards d’euros dans la transformation de leur outil industriel pour produire des véhicules électriques.
- Des stratégies industrielles divergentes : Renault a opté pour la création d'Ampere création d’Ampere, une entité dédiée à l’électrique, tandis que Stellantis privilégie une approche plus flexible. Ces choix stratégiques ne sont pas sans risque.
- Une dépendance aux aides publiques : Le marché français de l’électrique reste fortement dépendant des aides à l’achat, comme l’a montré le ralentissement des ventes après la modification du bonus écologique.
- Une difficulté à se positionner sur le premium : Les constructeurs français peinent à s’imposer sur le segment premium, particulièrement sur les SUV électriques de taille moyenne à grande où XPeng concentre justement ses efforts.
La différence technologique : un atout majeur pour XPeng
L’un des principaux atouts de XPeng réside dans sa maîtrise technologique avancée. Fondée en 2014 par He Xiaopeng, un entrepreneur tech qui a fait fortune en vendant un navigateur internet à Alibaba (qui détient aujourd’hui 20% du capital de la marque), XPeng a intégré dès sa création l’ADN d’une entreprise technologique.
Cette approche se traduit par des véhicules offrant des fonctionnalités impressionnantes :
- Architecture 800 volts permettant une recharge ultra-rapide, supérieure à celle proposée par Tesla
- Système d’aide à la conduite avancé XPILOT comparable au FSD de Tesla
- Interface utilisateur XOS 5.4.5 hautement personnalisable
- Technologies de connectivité intégrant Apple CarPlay et Android Auto
- Système audio premium (22 haut-parleurs pour le G9)
Ces caractéristiques techniques placent les modèles XPeng au niveau, voire au-dessus, de nombreux véhicules premium européens en termes d’équipements et de technologies embarquées.
De plus, la marque bénéficie d’un partenariat stratégique avec Volkswagen, qui a investi 650 millions de dollars dans l’entreprise en 2023. Cette alliance pourrait permettre à XPeng d’accélérer son développement en Europe, notamment en partageant certaines technologies ou en envisageant, à terme, une production locale pour contourner les droits de douane.
Un profil de clientèle spécifique
Si XPeng réussit son implantation en France, c’est aussi parce que la marque a su identifier et cibler une clientèle spécifique. D’après les analyses internes du constructeur, les premiers acheteurs de véhicules XPeng en France sont principalement :
- Des propriétaires précédents de véhicules électriques (notamment Kia et Tesla)
- Des consommateurs très portés sur les nouvelles technologies
- Des clients qui découvrent la marque principalement via YouTube (un tiers) et les blogs spécialisés (15%)
- Des acheteurs hésitant essentiellement entre XPeng, Tesla et BYD au moment de leur décision d’achat
Ce profil de "primo-adoptants" technophiles correspond parfaitement au positionnement de la marque, et XPeng mise sur cette base initiale pour élargir progressivement sa clientèle.
Par ailleurs, la marque s’appuie sur des formules de leasing attractives, avec des mensualités débutant à 470 euros pour le G6. Cette approche séduit, puisque 80% des clients optent pour des solutions de financement en location.
Perspectives et défis pour 2025
Si XPeng semble bien parti pour s’implanter durablement sur le marché français, plusieurs défis majeurs restent à surmonter :
- La notoriété de la marque : Malgré ses premiers succès, XPeng demeure largement méconnue du grand public français. Un effort marketing considérable sera nécessaire pour changer cette situation.
- La pérennité du réseau de distribution : Doubler le nombre de concessions en un an représente un défi logistique et commercial considérable, d’autant que chaque point de vente doit également intégrer un atelier de service après-vente.
- La valeur résiduelle des véhicules : L’un des grands points d’interrogation concerne la valeur de revente des véhicules XPeng sur le marché de l’occasion, un facteur clé pour les gestionnaires de flottes et les organismes de leasing de leasing.
- Les incertitudes réglementaires : L’évolution des mesures protectionnistes européennes pourrait significativement impacter la compétitivité-prix des véhicules XPeng, actuellement produits en Chine.
- La concurrence intra-chinoise : XPeng doit non seulement affronter les constructeurs établis, mais aussi d’autres marques chinoises comme BYD, qui disposent de moyens financiers encore plus importants.
Pour faire face à ces défis, XPeng pourrait envisager de produire certains modèles en Europe à moyen terme. La direction a d’ailleurs évoqué que "des solutions d’industrialisation en Europe sont à l’étude", sans préciser de calendrier ni de localisation potentielle.
Par ailleurs, l’élargissement de la gamme pourrait constituer un autre levier de croissance. Si XPeng se concentre actuellement sur les SUV G6 et G9, l’introduction de la berline P7+ (déjà présentée au Mondial de l’Auto) pourrait intervenir dès 2026, élargissant ainsi le portefeuille de produits de la marque.
Un avant-goût de l’avenir de l’industrie automobile ?
L’implantation rapide de XPeng sur le marché français pourrait préfigurer une transformation plus profonde de l’industrie automobile européenne. Le PDG du groupe, He Xiaopeng, prédit d’ailleurs "une phase éliminatoire extrêmement intense" pour les constructeurs de véhicules électriques entre 2025 et 2027, y compris en Chine où la concurrence fait rage.
Cette prédiction résonne particulièrement en Europe, où les constructeurs traditionnels doivent conjuguer la transition énergétique avec des contraintes économiques et réglementaires sans précédent. Dans ce contexte, les marques chinoises comme XPeng, qui ont développé leur expertise électrique dans un environnement ultra-concurrentiel, pourraient disposer d’avantages compétitifs décisifs.
Pour les constructeurs français, les enjeux sont considérables. Contrairement au segment des citadines électriques où ils conservent une certaine avance technologique et industrielle, le segment des SUV électriques premium – où opère XPeng – représente un véritable défi. Sur ce créneau, ni Renault ni Stellantis ne disposent actuellement de modèles aussi compétitifs en termes de rapport équipement/prix.
Les 511 immatriculations de XPeng en 2024 peuvent sembler anecdotiques face aux 290 611 véhicules électriques vendus en France sur la même période. Mais cette percée rapide, combinée aux ambitions affichées pour 2025 et au soutien d’un groupe disposant de ressources financières considérables, constitue bien un signal d’alerte pour l’industrie automobile française, déjà fragilisée par les défis de la transition énergétique.
Alors que le marché de l’électrique français peine à accélérer sa croissance en ce début 2025, l’arrivée de nouveaux acteurs chinois technologiquement avancés et financièrement solides comme XPeng pourrait bien rebattre les cartes d’une industrie en pleine mutation. La menace pour les constructeurs français est réelle, et leur capacité à y répondre conditionnera en grande partie l’avenir de toute une filière industrielle stratégique.